GOUVERNORATS DE L’HADRAMAOUT/DE HAJJAH/DE TA’IZZ, Yémen – « La patiente était dans son troisième trimestre et présentait un grave saignement à son arrivée », raconte Mme Akaber, sage-femme communautaire du district de Ku’aydinah, dans le gouvernorat de Hajjah, situé dans le nord-ouest du Yémen. « Je l’ai prise en charge, mais le bébé était déjà mort. »
La patiente, Hanan Wahan, âgée de 25 ans et mère de trois enfants, était enceinte de neuf mois. Elle a subi des complications lors d’un accouchement à domicile, et Mme Akaber a poussé son mari à l’amener à l’hôpital du district, dans l’espoir de lui sauver la vie.
« Je n’ai pas pu arrêter l’hémorragie, elle avait besoin d’une gynécologue-obstétricienne », raconte-t-elle à l’UNFPA, l’agence des Nations Unies chargée de la santé sexuelle et reproductive.
Depuis février 2024, l’UNFPA aidait cet hôpital en lui fournissant des médicaments de santé maternelle, du matériel médical, et en y déployant des agent·e·s de santé (sages-femmes et autres spécialistes). Mais lorsque Mme Wahan est arrivée, presque inconsciente, l’obstétricienne ne travaillait plus dans l’établissement : à cause de fortes coupes budgétaires, l'UNFPA avait dû suspendre son soutien à la fin mars 2025.
Ni Mme Wahan ni son bébé n’ont survécu. « Sans gynécologue, je n’ai pas pu lui sauver la vie », déplore Mme Akaber.

Une crise humanitaire
Après plus d’une décennie de crise et de conflit au Yémen, 19,5 millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire dans le pays. Près de la moitié de la population souffre gravement de la faim et 40 % seulement des structures de santé sont opérationnelles.
Près de 2,7 millions de femmes et de filles n’ont pas accès aux soins de santé reproductive, et six naissances sur dix ont lieu sans la présence de personnel qualifié. Aujourd’hui, de nombreux établissements qui proposaient des soins de santé reproductive, des services de santé mentale et de la planification familiale ont dû fermer, avec des conséquences bien souvent tragiques.
« Sans gynécologue, je n’ai pas pu lui sauver la vie »

Halima*, 45 ans, est sage-femme dans le gouvernorat de l’Hadramaout, dans le centre du pays. « C’est moi qui subviens aux besoins de ma famille, c’est-à-dire de mon mari et de mes cinq enfants », explique-t-elle à l’UNFPA, qui finançait auparavant son emploi à l’hôpital général de Tarim.
« Avec la suspension de ce soutien, tout a changé », ajoute-t-elle. Son salaire mensuel, qui s’élève à seulement 42 dollars, n’est plus assuré. « Le salaire mensuel que me verse l’hôpital est irrégulier et loin d’être suffisant pour me procurer l’essentiel. J’ai dû emprunter de l’argent juste pour nourrir mes enfants.
Parfois, je ne peux pas acheter les médicaments pour soigner la maladie chronique de mon mari, et j’ai peur pour sa santé. Le stress et l’épuisement que j’apporte de chez moi se reflètent forcément dans mon travail, et je ne peux plus offrir à mes patientes l’attention complète que je leur accordais autrefois. »

De prestataires à bénéficiaires
Heba, 30 ans, est originaire d’Al-Ma’afir, une zone de Ta’izz, dans le sud du Yémen. « J’étais spécialiste juridique dans un espace sûr pour femmes et filles victimes de violence et de discrimination », précise-t-elle à l’UNFPA, qui finançait cet espace.
« Pour moi, c’était plus qu’un lieu de travail : c’était un espace où je pouvais servir ma communauté et aussi construire un avenir stable pour ma famille. »
Dans les zones rurales et marginalisées comme Al-Ma’afir, ces espaces sont des bouées de sauvetage, non seulement pour les femmes qui y cherchent de l’aide, mais aussi pour le personnel dont le salaire et la dignité en dépendent.
« Je suis la principale ressource de ma sœur cadette et de ma mère divorcée, qui souffre d’une maladie chronique. J’étais fière de contribuer à la fois à la stabilité de ma famille et à la protection des femmes de ma communauté. »
L’espace sûr est aujourd’hui fermé faute de fonds suffisants.
Cette fermeture a affecté tous les aspects de la vie de Heba. « L’impact n’a pas seulement été financier : j’ai perdu confiance en moi et je me suis isolée de mon entourage. Les projets professionnels que j’avais soigneusement construits ont disparu du jour au lendemain. Au lieu de protéger les autres, je suis devenue une personne dans le besoin. »
Les coupes budgétaires ont de graves conséquences sur la vie réelle
Les programmes de l’UNFPA au Yémen couvrent la santé reproductive et les besoins de protection des femmes et des filles, qui font partie des personnes les plus vulnérables ; la perte de 60 % de financements en 2025 signifie qu’un tiers seulement de l’appel de l’agence pour 70 millions de dollars a été obtenu.
Dès la fin mars 2025, l’UNFPA a été contrainte de réduire de manière drastique ses programmes de santé reproductive et de protection contre la violence basée sur le genre, privant 1,5 million de femmes d’un accès à des services de santé vitaux et 300 000 d’une prévention et d’une prise en charge de la violence basée sur le genre.

Plus de 1 000 agent·e·s de santé et plus de 400 personnes travaillant dans des espaces sûrs pour femmes et filles ont perdu leur travail ou leur indemnisation. Les coupes budgétaires subies par l’UNFPA ont conduit à la fermeture de 44 établissements de santé, de 10 espaces sûrs, d’un centre de santé mentale, et à la fin de l’activité de 14 équipes de santé reproductive et de protection.
L’agence ne sera pas non plus en mesure de former près de 800 sages-femmes, soit la moitié de l’effectif prévu pour 2025. Ainsi, on estime que près de 600 000 femmes seront privées des services d’une sage-femme qualifiée lorsqu’elles en auront besoin.
Un espace sûr n’est pas qu’un bâtiment
Fatima*, mère et âgée d’une trentaine d’années, a perdu son emploi de psychologue dans un espace sûr de Seiyun, dans le gouvernorat de l’Hadramaout, à la suite des coupes budgétaires.
« Mon travail ne consistait pas seulement à écouter ou à donner des conseils. Il s’agissait d’aider ces femmes à trouver de la force, de donner à des filles et des adolescentes une rare opportunité d’être entendues dans une société qui les réduit souvent au silence, et de leur rappeler que leur voix compte elle aussi », indique-t-elle à l’UNFPA.
« C’était un lieu de reconstruction et d’espoir »
Six mois après la suspension par le gouvernement des États-Unis de la grande majorité des financements de l’UNFPA, près de 17 millions de personnes dans le monde – la plupart étant des femmes et des filles – risquent de perdre leur accès aux services de santé et de protection.
« Cet espace sûr n’était pas qu’un bâtiment », explique Fatima. « C’était un lieu de reconstruction et d’espoir. Sa fermeture n’a pas simplement été la fin d’un projet, elle a réduit au silence les voix et les rêves de centaines de femmes et de filles de Seiyun. »
*Les prénoms ont été changés pour garantir l’anonymat et la protection des personnes