EN FR AR

Actualités

Cinq choses que les décisionnaires doivent savoir sur la violence numérique et les jeunes

calendar_today24 Novembre 2025

Quatre jeunes filles sont assises sur un banc, dans une salle de classe bien éclairée. Elles portent des uniformes scolaires comportant une chemise blanche et une jupe bleue. Une jeune fille, au centre, parle avec animation
En Côte d'Ivoire, des membres du club Gender Equity and Equality Movement in Schools (GEMS) se prépare pour des sessions de sensibilisation à l’égalité des genres au Lycée BAD de Yamoussoukro. Crédit : © UNFPA Côte d'Ivoire/Ollivier Girard

NATIONS UNIES, New York – « Quand j’avais 16 ans, j’ai reçu des menaces de viol parce que je m’étais exprimée sur la question du féminisme », raconte à l’UNFPA (l’agence des Nations Unies chargée de la santé sexuelle et reproductive) une jeune femme de 18 ans, en Syrie.

Au cours de leur vie, 840 millions de femmes subiront des violences physiques ou sexuelles, soit une femme sur trois dans le monde, souligne un récent rapport des Nations Unies. Et s’il vous semble avoir déjà entendu ça quelque part, c’est parce que malgré des décennies de militantisme, de sensibilisation et de plaidoyer pour des changements juridiques et politiques, ce chiffre n’a presque pas évolué depuis 20 ans.

Ce rapport montre aussi que ce chiffre pourtant astronomique est probablement sous-estimé, en partie parce que de nouvelles formes de violence basée sur le genre prolifèrent rapidement, notamment avec les avancées technologiques, mais ne sont pas encore correctement mesurées ni prises en charge. 

L’UNFPA est à l’avant-garde mondiale de l’identification de la violence basée sur le genre facilitée par la technologie et de la lutte contre celle-ci, et s’apprête à publier une nouvelle étude sur les conséquences disproportionnées qu’elle a sur les adolescentes.

Un rapport montre que la violence numérique affecte les filles à tous les âges, depuis la petite enfance. Pourtant, ces recherches soutenues par l’UNFPA, portée par son partenaire Save the Children, souligne aussi que les adultes sous-estiment souvent les dangers auxquels les adolescent·e·s sont confronté·e·s. 

L’UNFPA et son partenaire Derechos Digitales mettent en lumière des solutions dans la publication conjointe à paraître Guiding Principles for Law and Policy Reform to Address Technology-facilitated Gender-based Violence, qui constitue le tout premier guide mondial sur la législation fondée sur les droits et les réformes politiques concernant la violence basée sur le genre facilitée par la technologie.

Les décisionnaires doivent se mettre à la page rapidement

Les données montrent que les décisionnaires juridiques, les autorités judiciaires, le corps enseignant, les parents et les personnes qui développent les technologies sont très en retard sur l’appréhension des réalités des jeunes, en particulier des adolescentes et des jeunes femmes. 

L’UNFPA a contacté des jeunes du monde entier pour en savoir plus sur leurs expériences en ligne, leur exposition à des contenus ou comportements néfastes, comment cela les avait affecté·e·s et ce dont ils et elles aimeraient que les décisionnaires prennent conscience. 

Voici ce que ces jeunes nous ont dit.

Trois femmes regardent ensemble un écran d’ordinateur.
Des femmes participent à un cours de compétences informatiques dans l’espace sûr pour femmes et filles de Boing Bimbo, à Bangui (République centrafricaine). © UNFPA République centrafricaine /Karel Prinsloo

1- Le monde en ligne est aussi réel que le monde hors ligne. Les outils et espaces numériques sont désormais essentiels dans tous les aspects de la vie des jeunes, mais ce ne sont pas des espaces sûrs.

« Internet n’est pas un monde séparé et imaginaire », explique à l’UNFPA une femme de 21 ans à Tashkent, en Ouzbékistan. « Les violences que nous subissons en ligne sont bien réelles, néfastes, et affectent notre santé mentale, notre travail scolaire et nos opportunités futures. » Parallèlement, souligne-t-elle, « une simple “déconnexion” n’est pas possible car les espaces numériques sont les lieux de notre sociabilité, de notre apprentissage et de notre organisation ».

En réalité, le développement social, émotionnel et social des adolescent·e·s se fait de plus en plus en ligne, ce qui façonne leurs attentes et leur expérience des relations intimes, des amitiés et de la communauté. Des dizaines de jeunes se disent agacé·e·s de devoir renoncer à tout un monde numérique d’opportunités et de liens pour être complètement protégé·e·s des dangers qui les guettent en ligne.

« Les jeunes vivent une grande partie de leur vie sociale en ligne », précise une femme de 24 ans au Tchad. « Ce monde virtuel peut avoir de vraies conséquences émotionnelles. Il ne suffit pas de nous dire de ne pas y faire attention ou de nous déconnecter. »

Une fille et une femme sont penchées l’une vers l’autre et lisent une brochure
Dans un centre communautaire soutenu par l’UNFPA, à Jérusalem, des adolescentes vulnérables et leurs parents bénéficient d’un soutien psychosocial et de cours de sécurité numérique, ce qui leur permet non seulement de développer des compétences informatiques, mais aussi une résilience émotionnelle et des capacités d’adaptation. © UNFPA Palestine/Julie Dakwar 

Les adolescentes sont aussi de plus en plus visées par des deep fakes, du chantage sexuel et des « compagnons » générés par IA, conçus pour créer une dépendance.

Si les outils numériques peuvent faciliter l’accès à des quantités d’informations, ils ne sont pas fiables dans leur grande majorité, indique une femme de 26 ans originaire de Bangui, en République centrafricaine. « Les rumeurs, les théories du complot et les fausses informations se propagent très rapidement. Beaucoup de personnes partagent des contenus sans les vérifier, ce qui peut contribuer à la manipulation de l’opinion publique ou mettre des gens en danger. »

2- La violence numérique est bien souvent genrée et vise les plus vulnérables et les personnes marginalisées.

« Je me sens souvent en danger », poursuit la jeune femme de Tashkent. « En tant que jeune femme, je m’inquiète constamment de choses comme le fait qu’on prenne ou partage des  photos sans mon consentement, que je reçoive des insultes haineuses ou sexistes, ou bien que je sois suivie ou traquée sur différentes plateformes. »

La recherche lui donne raison. Les adolescentes sont exposées à un risque disproportionné de violence basée sur le genre facilitée par la technologie : près de 58 % des jeunes femmes et filles rapportent que leur première expérience de harcèlement sur les réseaux sociaux a lieu entre leurs 14 et leurs 16 ans. Le chantage sexuel peut viser à la fois les garçons et les filles, mais pour les filles, les risques sont plus susceptibles de s’étendre à leur vie personnelle et à leur communauté. Elles ont plus de risque de subir des pressions à envoyer des photos intimes et de voir ces images partagées ou utilisées à des fins de chantage par des personnes qu’elles connaissent. 

Les inégalités de genre et le harcèlement sexuel qui existent dans la vie quotidienne se voient amplifiés en ligne, où règnent anonymat et impunité pour les agresseurs. Ainsi, les femmes et les filles peuvent se sentir obligées d’abandonner les espaces en ligne, contribuant au « fossé numérique » entre les genres, c’est-à-dire le fait que les hommes sont plus nombreux à bénéficier de la technologie que les femmes.

Three women in black niqabs and abayas talk to each other in a small room, two of them holding mobile phones.
Abeer gère une boutique de réparation de téléphones du nom de « Safety Tech », où elle propose ses services aux femmes et aux filles dont les téléphones ont été piratés ou dont les photos ont été publiées. © UNFPA Yémen / Ahmed Al Majidi 

Les groupes marginalisés font eux aussi face à une plus grande vulnérabilité. Selon une étude menée auprès de 18 000 personnes dans 18 pays, les personnes transgenres ou de genre variant sont les plus touchées par les incidents néfastes en ligne.

En Syrie, un homme de 20 ans raconte à l’UNFPA qu’il a eu beaucoup d’interactions délétères à cause de son orientation sexuelle : « quelqu’un a utilisé mes photos sur une application de rencontres, une autre s’en est servie pour me menacer, et une troisième m’a menacé à cause de ma sexualité ».

3- Les décisionnaires pénalisent souvent les survivantes au lieu des agresseurs, soit en rejetant la faute sur les victimes, soit en voulant les protéger par la limitation de leur accès aux outils et espaces numériques. 

Les personnes en position d’autorité sous-estiment souvent les cas signalés de violences en ligne, beaucoup attribuant le problème à l’utilisation de la technologie elle-même par les survivantes et non à la faiblesse des protocoles de sécurité et au manque d’accès à des voies de recours et de réparation. 

« Les paramètres de sécurité n’empêchent pas les gens d’être violents, cela complique simplement les signalements », ajoute la femme originaire de Tashkent. « Mes parents ont tenté de me protéger en me disant de limiter mon temps d’écran et de “simplement ignorer” les trolls… Les ignorer ne fait pas cesser les menaces ni le harcèlement. J’aurais aimé qu’ils sachent signaler les contenus et qu’ils prennent les menaces plus au sérieux, au lieu de minimiser mes émotions. »

Une femme portant un gilet bleu tape au clavier d’un ordinateur
En Angola, une conseillère répond aux questions de jeunes et de leurs familles par SMS, sur les questions de santé sexuelle et reproductive. © UNFPA Angola/Noriko Hayashi 

La peur d’être culpabilisée en tant que victime ou de se voir priver de son accès à Internet est l’une des raisons des faibles taux de signalement, ce qui signifie que si ces violences sont extrêmement répandues, ce n’est pas le cas des données permettant de donner du poids aux témoignages des survivantes.

« Ce que font les adultes pour nous protéger : mettre en place des restrictions, qui ne prennent pas en compte le problème et ne luttent pas contre lui », indique une femme de 25 ans au Turkménistan.

« Pour tout ce qui est numérique, c’est grâce aux cours et aux discussions auxquels j’ai assisté que j’ai tout appris ; les adultes ne m’ont jamais guidée », souligne une femme de 20 ans originaire du Togo. 

Les systèmes juridiques ne sont pas non plus parvenus à suivre le rythme de la prolifération de ces violences. Certains ne reconnaissent même pas la violence numérique. D’autres ne reconnaissent pas que les femmes, les filles et les groupes marginalisés la subissent de manière disproportionnée. D’autres encore prennent en compte les vulnérabilités des femmes et des filles, mais appliquent des standards pour enfants aux femmes adultes, limitant leur autonomie et renforçant des normes néfastes. Enfin, certains utilisent des lois contre la conduite « impudique » ou « indécente » pour punir les survivantes et non les agresseurs.

4- Tous les espaces, en ligne ou non, doivent être sûrs pour toutes et tous.

Les femmes et les filles ont toute leur place en ligne. Les personnes LGBTQIA+ également. Les espaces numériques doivent favoriser le lien, la communauté et les opportunités pour toutes et tous, mais cela demande un engagement de toutes les parties prenantes. 

A woman’s image is shared on a large screen over a catwalk. Three women wall on the catwalk. They are wearing long white dresses with the bodyright logo.
Un message vidéo de l’activiste transgenre Rovira Hernández est diffusé durant le défilé de mode « bodyright » lors de la semaine de la mode au Costa Rica. © UNFPA Costa Rica/Yonel Puga

Il y a pourtant quelques signes prometteurs montrant qu’une partie des décisionnaires et figures d’autorité se mettent à la page.

« Ma page a été piratée. J’ai été contrainte à faire des choses contre ma volonté », témoigne une femme de 31 ans originaire du Liberia auprès de l’UNFPA. Face à cela, les adultes de son entourage l’ont soutenue « en [lui] enseignant que le harcèlement en ligne et toute autre forme de violence en ligne est un cybercrime et qu’on est en droit de le signaler ».

Il reste encore beaucoup à faire cependant, indiquent les jeunes répondant·e·s à l’UNFPA.

« Une enseignante et un parent m’ont écoutée, m’ont conseillé de bloquer les agresseurs, de sécuriser mes comptes et de ne pas répondre aux provocations », explique une femme de 24 ans, au Tchad. « Cela m’a aidée, mais rétrospectivement, ils auraient aussi pu signaler ces incidents à l'école ou encourager une discussion de groupe pour sensibiliser les autres élèves. Leur soutien a été essentiel, mais une intervention plus visible aurait consisté à renforcer la prévention. »

5- La voie à suivre est très claire. 

La solution n’est pas un mystère, expliquent les jeunes ayant répondu au sondage. 

La conception de la technologie et les systèmes de collecte de données doivent être réglementés, à la fois par les entreprises technologiques et les gouvernements, afin d’empêcher la propagation et la monétisation de la misogynie, de la discrimination et de la violence. 

« Renforcez les lois contre le harcèlement et les violences en ligne. Exigez que les plateformes fassent un meilleur travail de modération des contenus violents et néfastes. Soutenez l’éducation numérique dans les écoles pour apprendre aux jeunes comment se protéger, et créez des espaces accessibles et réactifs pour les victimes », déclare la jeune femme du Tchad. 

Une jeune femme de Syrie partage cet avis : « des lois et réglementations plus claires pour protéger les jeunes en ligne, comme la surveillance des contenus néfastes, la prévention du cyberharcèlement, et la punition des personnes qui propagent la haine ou exploitent les enfants […] Il faut soutenir des programmes de sensibilisation dans les écoles qui pourraient nous apprendre à utiliser Internet en toute sécurité, comment protéger notre vie privée et gérer les situations difficiles ».

« Apprenons aux enfants à la crèche et à l’école l’utilisation éthique d’Internet et des réseaux sociaux, les mesures de sécurité et la psychologie », propose une jeune femme de 25 ans du Turkménistan.

L’UNFPA mène de nombreuses initiatives pour atteindre ces objectifs. Ainsi, le programme EmpowerED intègre l’utilisation sûre et éthique de la technologique dans les programmes d’éducation complète à la sexualité, aux côtés d’autres leçons essentielles sur l’égalité des genres, le consentement et l’autonomie corporelle.

Début 2026, l’UNFPA et ses partenaires lanceront également une nouvelle plateforme sécurisée pour aider les agent·e·s de première ligne à prendre en charge les cas de plus en plus nombreux de violence numérique, proposant un accompagnement nécessaire et des ressources pour les personnes travaillant avec des survivantes.

En fin de compte, « les jeunes ont besoin d’accompagnement et de sécurité en ligne, pas seulement de restrictions », résume une jeune femme du Yémen. « Nous voulons explorer, apprendre et entrer en lien en toute sécurité, mais nous avons aussi besoin d’aide pour minimiser les risques sans nous sentir jugées ou contrôlées. Comprendre cet équilibre nous aiderait à utiliser Internet de manière plus positive. »

UNFPA Global share

Nous utilisons des cookies et d'autres identifiants pour améliorer votre expérience en ligne. En utilisant notre site web vous acceptez cette pratique, consultez notre politique en matière de cookies.

X